Pourquoi et comment développer une IA souveraine ?

Jeremy Lamri
8 min readSep 30, 2024

L’intelligence artificielle est aujourd’hui au cœur des enjeux économiques, politiques, et sociétaux du XXIème siècle. Mais dès lors que ces technologies sont dominées par quelques grandes puissances mondiales, la notion d’IA souveraine devient cruciale. Qu’est-ce qu’une IA souveraine, pourquoi est-ce important, et comment un pays comme la France peut-il se doter de cette autonomie stratégique ?

Pourquoi parler d’IA souveraine ?

Une IA souveraine désigne un système d’intelligence artificielle conçu, développé, et déployé de manière autonome par un pays ou une région, afin de maintenir un contrôle total sur ses technologies et ses données, sans dépendre de puissances étrangères. Cela implique une maîtrise complète de la chaîne de valeur, depuis l’infrastructure technologique (serveurs, centres de données) jusqu’aux algorithmes, en passant par la réglementation et la sécurité.

Concrètement, une IA peut être considérée comme étant souveraine si elle permet d’adresser efficacement ces 5 objectifs majeurs :

  1. Garantir la sécurité des données : les données sensibles, qu’elles soient d’origine publique (administrations, santé) ou privée (entreprises nationales), sont stockées et traitées au sein du pays, évitant ainsi des fuites ou un accès non désiré par des acteurs extérieurs.
  2. Assurer l’indépendance technologique : l’IA souveraine repose sur des technologies locales ou maîtrisées par des partenaires de confiance, pour éviter une dépendance aux grandes entreprises étrangères (comme celles des États-Unis ou de la Chine), et prévenir des risques de coupures d’accès ou de contrôles.
  3. Soutenir les valeurs locales : une IA souveraine intègre les valeurs et les normes éthiques propres à une société, ce qui permet d’adapter les modèles et les décisions d’IA aux particularités culturelles, sociales et légales du pays.
  4. Renforcer la compétitivité économique : en maîtrisant sa propre technologie d’IA, un pays peut stimuler l’innovation locale, promouvoir la recherche et développer des entreprises spécialisées, renforçant ainsi sa compétitivité sur la scène internationale.
  5. Réduire les inégalités et promouvoir l’inclusion : assurer que l’accès aux bénéfices de l’IA soit équitable et ne creuse pas les disparités numériques, notamment pour les territoires ruraux et les petites entreprises.

IA souveraine & Europe ?

L’idée d’une IA souveraine peut aussi inclure des efforts de collaboration régionale (comme au niveau de l’Union européenne) pour mutualiser des compétences et des ressources tout en préservant une forme d’indépendance collective vis-à-vis des géants technologiques mondiaux. En effet, le développement d’une IA souveraine ne pourra pas se faire en vase clos. Il doit s’inscrire dans un contexte géopolitique où l’IA est un atout stratégique majeur. La France, en partenariat avec l’Union européenne, doit se positionner face aux géants américains et chinois, pour défendre ses intérêts et assurer son autonomie technologique.

IA souveraine et secteur privé ?

Une IA souveraine peut être développée en partenariat avec des entreprises privées nationales à condition que l’État garde un contrôle stratégique sur les technologies, garantissant la sécurité des données, la conformité réglementaire, et la transparence des algorithmes. L’État doit avoir la capacité d’intervenir en cas de menaces, d’auditer les systèmes, et de nationaliser ou transférer des technologies critiques si nécessaire. Les entreprises doivent être indépendantes de capitaux et de technologies étrangères, respecter les valeurs et normes nationales, et servir l’intérêt public en garantissant l’accès équitable aux bénéfices de l’IA. Une telle collaboration public-privé permet de combiner innovation et souveraineté, tout en assurant une autonomie stratégique à long terme. Plus vite écrit que mis en oeuvre…

Open source et IA souveraine ?

Il est déjà possible d’importer un modèle d’IA open source pour le customiser et l’utiliser pour ses propres besoins. Mais pour qu’une IA open source mène à une IA souveraine, elle doit être déployée sur des infrastructures matérielles nationales contrôlées, en utilisant des technologies indépendantes (puces, serveurs) qui ne dépendent pas de fournisseurs étrangers. Le modèle open source doit être audité, modifié et réentraîné sur des données locales pour garantir la conformité aux normes et valeurs nationales. Il est également nécessaire de contrôler les bibliothèques logicielles utilisées, d’assurer la maintenance locale du modèle et de développer des capacités d’évolution indépendantes pour éviter toute ingérence extérieure.

Les éléments clés d’une IA souveraine

La chaîne de valeur pour une IA souveraine se compose de différentes étapes interconnectées, qui vont de l’infrastructure matérielle à l’application des technologies développées. La liste peut sembler longue, mais c’est une nécessité, car l’IA souveraine est trop souvent résumée à l’entrainement des modèles, dont vous pourrez constater ci-dessous qu’il s’agit de l’un des nombreux éléments critiques pour atteindre le graal.

La France peut-elle s’équiper d’une IA souveraine ?

La France a la capacité de s’équiper d’une IA souveraine, mais cela représente un défi multidimensionnel nécessitant des efforts conséquents en matière de politique, d’investissements, et de collaboration stratégique. Pour atteindre cet objectif, la feuille de route est composée d’une centaine d’étapes a minima, mais que l’on peut résumer avec ces axes essentiels :

  • Renforcer les infrastructures : développer des data centers nationaux et investir dans la recherche sur les semi-conducteurs pour réduire la dépendance aux pays tiers.
  • Accélérer l’innovation et la recherche : financer davantage la recherche en IA, attirer des talents, et promouvoir les collaborations entre les entreprises, les universités et le secteur public.
  • Mutualiser au niveau européen : collaborer étroitement avec les partenaires européens pour mutualiser les ressources, partager les données, et assurer une sécurité collective.
  • Former et sensibiliser : développer des programmes éducatifs pour former de nouveaux talents et sensibiliser à la souveraineté technologique. Assurer une reconversion efficace des métiers impactés par l’automatisation.
  • Créer un écosystème favorable : soutenir les startups locales qui innovent dans le domaine de l’IA et simplifier l’accès aux financements pour permettre l’émergence d’acteurs locaux capables de rivaliser avec les grandes entreprises étrangères.

Au-delà des éléments permettant de favoriser le développement de cette IA souveraine, la France devra également lever ou contourner plusieurs bloqueurs majeurs, que ce soit en matière de concurrence internationale, de retard en production matérielle, ou de fragmentation règlementaire. Car c’est un fait, la France se trouve en concurrence avec des pays qui ont des ressources beaucoup plus importantes à consacrer à l’IA. Les États-Unis et la Chine disposent de géants technologiques capables d’investir massivement et de bénéficier d’une synergie entre secteur privé et gouvernement. La France, seule, pourrait avoir du mal à soutenir un tel niveau de compétitivité sans une collaboration accrue au niveau européen.

Surtout, l’Europe et la France ne sont pas actuellement autonomes sur la production de matériel nécessaire pour entraîner de grands modèles d’IA (comme les processeurs avancés). L’établissement d’une indépendance matérielle nécessiterait des investissements sur plusieurs années, voire décennies. Et enfin, bien que le cadre législatif européen, tel que le RGPD, soit un atout pour garantir la sécurité des données et la transparence des algorithmes, il peut aussi représenter un frein par rapport aux pratiques plus flexibles adoptées par les États-Unis et la Chine, où la réglementation est souvent plus permissive dans les premières phases de développement de technologies disruptives.

Pour surmonter ces défis, une approche franco-européenne est probablement la meilleure option. GAIA-X pourrait permettre de mutualiser des ressources et de garantir la souveraineté technologique à une échelle plus vaste.

Conclusion

L’IA souveraine n’est pas seulement un projet technologique ou économique ; elle est avant tout un enjeu stratégique pour garantir l’indépendance, la sécurité, et la compétitivité d’un pays dans un monde de plus en plus interconnecté et dominé par des géants technologiques étrangers. Pour la France, se doter d’une IA souveraine implique de renforcer ses infrastructures, investir dans la recherche, mutualiser les efforts au niveau européen, et promouvoir une culture de l’IA qui respecte les valeurs locales.

Au-delà des aspects techniques et économiques, l’IA souveraine ouvre un débat essentiel sur la place de l’humain dans la société numérique. Comment s’assurer que les avancées technologiques ne creusent pas les inégalités, mais au contraire favorisent une société plus juste et inclusive ? L’IA souveraine doit être utilisée pour créer de nouvelles opportunités, garantir la protection des données des citoyens, et encourager des modèles de gouvernance transparents.

Sur le plan géopolitique, le développement d’une IA souveraine appelle également à une reconfiguration des alliances. L’Europe, en tant que bloc géopolitique, a une occasion unique de se positionner comme un leader mondial de l’IA responsable et éthique, en promouvant une alternative crédible aux modèles américains et chinois. Une collaboration renforcée entre les nations européennes pourrait non seulement mutualiser les ressources, mais aussi garantir la résilience et la stabilité dans un monde où l’IA devient une arme stratégique.

La France doit donc s’engager pleinement dans ce chantier en y associant ses partenaires, tout en veillant à ce que le progrès technologique serve le bien-être collectif. En alliant innovation technologique, souveraineté géopolitique, et justice sociale, l’IA souveraine pourrait bien devenir un modèle à suivre pour un développement humain et numérique durable.

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[Article créé le 30 septembre 2024, par Jérémy Lamri avec le soutien des modèles Claude 3.5 Sonnet et GPT4o pour la structuration et l’enrichissement, et GPT4o pour l’illustration. L’écriture est principalement la mienne, tout comme la plupart des idées de cet article].

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Jeremy Lamri

CEO @Tomorrow Theory. Entrepreneur, PhD Psychology, Author & Teacher about #FutureOfWork. Find me on https://linktr.ee/jeremylamri