Le futur du management : humains + IA + robots

Jeremy Lamri
11 min readOct 6, 2024

Le monde du travail traverse une mutation profonde, propulsée par l’essor des technologies numériques, de l’intelligence artificielle (IA), et de la robotique. Alors que les frontières entre le réel et le virtuel s’estompent, cela ouvre la problématique de savoir comment manager un robot ou un avatar. Avec Karin Valentini, Directrice de la pédagogie chez thecamp, nous avons choisi de collaborer pour la conception de cet article, notamment afin de sensibiliser sur les enjeux du management hybride entre ‘humains’ et ‘non-humains’. Car une chose est sûre : les managers vont devoir se préparer à relever un défi inédit : assurer l’interaction entre humains, IA, avatars et robots, dans un environnement en constante évolution. Autrement dit, une refondation profonde du management.

Dans les entrepôts d’Amazon, les employés collaborent avec des robots Kiva pour optimiser la logistique. Des hôpitaux utilisent des robots d’assistance comme TUG pour transporter des fournitures, tandis que des entreprises comme UPS s’appuient sur l’IA pour planifier les itinéraires de livraison. Dans les usines BMW, des cobots travaillent aux côtés des ouvriers sur les chaînes de montage. Des startups technologiques exploitent des avatars numériques pour faciliter le télétravail, et des restaurants comme Spyce intègrent des robots dans la préparation des plats, illustrant la diversité croissante des interactions managériales avec les non-humains. Bienvenue dans le management hybride de demain : le management des non-humains !

I. Management à distance : de la visioconférence aux espaces de collaboration

Depuis la pandémie de COVID-19, la visioconférence et le télétravail se sont imposés comme des composantes essentielles du monde professionnel. Cependant, gérer des équipes à distance n’est pas sans défis : la communication numérique limite l’accès aux indices non verbaux, essentiels pour saisir les émotions et intentions des interlocuteurs (Olson & Olson, 2000). Ce contexte favorise parfois des malentendus et un sentiment d’isolement chez les employés (Kniffin et al., 2021). Pourtant, lorsque bien géré, le télétravail peut favoriser une flexibilité accrue et améliorer la satisfaction professionnelle.

Le management à distance nécessite une nouvelle approche centrée sur l’engagement proactif et la création de liens authentiques. Les managers doivent adapter leur style en intégrant des stratégies spécifiques qui favorisent la transparence, la participation active, et l’écoute. Cela passe par la nécessité de renforcer la transparence et la confiance. Comment ? En établissant des canaux de communication clairs, en partageant régulièrement des informations stratégiques, et en assurant des moments de dialogue pour compenser l’absence physique et maintenir la confiance.

Mais cela ne suffit pas, car plus qu’avant, il est nécessaire de favoriser l’interaction sociale informelle, le tout à distance. Certains parvienent à créer des moments authentiques avec des espaces virtuels, via des interactions plus légères. Mais le nerf de la guerre réside dans les pratiques quotidiennes de collaboration : Slack, Trello ou Microsoft Teams facilite le partage d’informations et le suivi des projets. Le management à distance gagne en efficacité lorsque l’équipe a une vue claire des responsabilités et des objectifs.

Bonnes pratiques pour les managers à distance

  1. Adapter la fréquence et le format des réunions : des points quotidiens courts peuvent être plus efficaces que des réunions longues et rares.
  2. Utiliser des outils de feedback instantané : recueillir régulièrement des impressions via des enquêtes ou des chatbots d’entreprise permet de détecter des problématiques invisibles.
  3. Mettre en place des espaces de collaboration asynchrones : permettre aux employés de collaborer en différé est essentiel pour gérer les fuseaux horaires et les obligations personnelles.
  4. Instaurer des rituels d’inclusion et de déclusion : pour maintenir un lien humain qui aille au-delà des échanges transactionnels liés aux tâches à effectuer, il faut des moments plus informels et libres.

II. Management des avatars humains dans les environnements de réalité virtuelle

La réalité virtuelle (VR) transforme la façon dont nous interagissons, en créant des espaces immersifs pour les réunions, la formation et la collaboration. Gérer des avatars humains introduit de nouveaux défis pour les managers, notamment la gestion de la présence virtuelle, la compréhension des comportements en ligne, et la navigation dans des espaces où l’apparence et l’identité peuvent être personnalisées (Slater & Sanchez-Vives, 2016).

Les avantages évoqués sont par exemple une immersion totale qui favorise l’apprentissage expérientiel, et des opportunités inédites pour renforcer l’engagement des équipes dispersées. Néanmoins, cette virtualisation pose des questions sur la régulation des comportements, la vie privée, les frontières entre personnel et professionnel, et l’enjeu de déshumanisation de l’entreprise.

On peut par exemple citer l’exemple de l’entreprise japonaise Alt Inc, qui rémunère les clones virtuels de ses salariés. Ces clones disposent de nombreuses données du quotidien de leurs propriétaires, et sont utilisés pour augmenter la productivité en prenant part à des activités de manière indépendante. Par exemple, des collaborateurs peuvent choisir de solliciter le clone plutôt que l’original pour obtenir une information donnée…

Pour être efficaces, les managers doivent s’adapter à la particularité de la réalité virtuelle, en créant un cadre professionnel clair et en facilitant une intégration harmonieuse des avatars dans le quotidien des équipes. Il y a ainsi un enjeu d’établir des règles de conduite claires et adaptées, pour éviter tout comportement déplacé. Les managers doivent s’assurer que les avatars respectent des normes de professionnalisme. Mais il faut également favoriser l’inclusivité, et pour y parvenir, la personnalisation des avatars peut permettre à chacun d’exprimer sa personnalité.

Bonnes pratiques pour les managers d’avatars humains en VR

  1. Créer des formations à l’usage de la VR : familiariser les employés avec les technologies RV, notamment en termes d’éthique et de comportement, avant toute implémentation.
  2. Encourager des rencontres mixtes : mélanger les rencontres en VR avec des réunions en face-à-face (ou en visioconférence) pour éviter une désincarnation excessive des échanges.
  3. Intégrer des indicateurs de bien-être : suivre régulièrement le ressenti des employés sur l’utilisation des technologies immersives pour ajuster les pratiques et prévenir le malaise.

III. Management des avatars IA : collaborateurs augmentés ou concurrence invisible ?

Les avatars IA, capables d’assister les travailleurs, d’automatiser des tâches et de prendre en charge des interactions simples, vont rapidement devenir de plus en plus courants. Ces entités, alimentées par l’IA, posent des questions sur la responsabilité, la transparence, et la relation entre les collaborateurs humains et les machines (Davenport & Ronanki, 2018).

Ces avatars peuvent offrir une amélioration de la productivité et du support, mais leur intégration doit être supervisée pour éviter des problèmes éthiques, comme les biais algorithmiques, et des craintes de remplacement chez les employés. Pour instaurer une collaboration harmonieuse, il est essentiel d’expliquer le rôle des IA aux employés et de les rassurer sur leur complémentarité.

En cas d’erreur, qui est responsable ? La définition de protocoles clairs est nécessaire pour encadrer l’utilisation des avatars IA, notamment dans des domaines sensibles comme le support client. L’intégration d’IA doit s’accompagner de programmes de formation continue pour permettre aux employés de travailler efficacement avec ces nouvelles entités et comprendre leurs limites.

Bonnes pratiques pour les managers d’avatars IA

  1. Utiliser les avatars IA pour libérer du temps humain : affecter les avatars IA aux tâches répétitives permet aux employés humains de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée.
  2. Implémenter une supervision éthique : mettre en place des comités éthiques internes pour superviser les décisions des IA et garantir l’équité des algorithmes.
  3. Maintenir une approche centrée sur l’humain : les avatars IA doivent être considérés comme des assistants augmentés, et non comme des remplaçants.

IV. Management des robots : cohabitation et redéfinition des processus

Les robots vont rapidement quitter les chaînes de montage pour intégrer divers secteurs, y compris la logistique, les services, et même les soins de santé. Le défi pour les managers est de redéfinir les processus afin de permettre une cohabitation efficace entre robots et humains, tout en répondant aux préoccupations sur la sécurité de l’emploi (Chui, Manyika, & Miremadi, 2016).

Dans la restauration, des robots sont déjà utilisés pour pallier au manque de main d’oeuvre, comme par exemple dans ce restaurant français Le Cap 180 à Cieurac, près de Cahors. Alors que le robot apporte les plats, une personne collabore avec ce robot et s’occupe du pain et de l’eau. L’organisation et la répartition des tâches entre humains et robots devient ainsi une problématique concrète et réelle du quotidien. Comme l’exlique Karin, le but n’est pas de remplacer l’humain mais de répondre à des fonctions pénuriques, et de renforcer la présence humaine en relation client et temps de conversation client. On ne supprime pas, on déplace et réorganise le temps humain… sur la relation humaine.

En revanche, les robots même les plus avancés posent des risques physiques en raison de leur puissance. Les processus de sécurité doivent être revus et les employés formés à la cohabitation avec ces machines. Surtout, les technologies évoluent rapidement. Pour s’assurer que l’adoption des robots soit un succès, les employés doivent être accompagnés par des programmes de formation à l’automatisation et à la manipulation de ces nouveaux outils. Une communication claire sur les objectifs et les impacts de l’automatisation permet de réduire la méfiance et de mobiliser les employés autour de projets communs.

Bonnes pratiques pour les managers

  1. Valoriser les compétences humaines uniques : promouvoir des compétences telles que la créativité, la négociation, ou l’empathie, qui ne sont pas remplaçables par des robots.
  2. Mettre en place des programmes de reconversion : pour les employés dont les tâches sont automatisées, proposer des programmes de formation afin qu’ils puissent s’adapter aux nouveaux besoins de l’entreprise.
  3. Intégrer la perspective environnementale : réduire l’empreinte carbone des robots en optimisant leur utilisation énergétique et en intégrant des critères d’écoresponsabilité.

V. Comment assurer que l’humain reste au centre des organisations ?

On ne le redira jamais assez, mais avec toutes ces vagues de techhnologique qui déferlent, il est essentiel de maintenir l’humain au cœur des organisations. La quête de sens au travail doit être le fil conducteur : le travail ne doit pas se réduire à la simple productivité, mais être une source de contribution à une finalité collective et personnelle. Pour cela, il est crucial que chaque collaborateur comprenne le “pourquoi” de ses missions, et comment celles-ci s’inscrivent dans un projet plus vaste, utile à la société.

Préserver l’autonomie et la créativité est fondamental. Face aux processus structurés par des systèmes intelligents, les individus doivent conserver la liberté d’innover et de décider, d’apporter leur singularité. Cette autonomie favorise non seulement l’épanouissement, mais aussi l’innovation, qui ne prospère que dans un environnement où la prise de risque est encouragée.

Le risque de désincarnation dû à la digitalisation doit être contré par la revalorisation des relations humaines. L’interaction authentique reste le socle de l’engagement et de l’appartenance. Les leaders doivent créer des moments propices à ces échanges, dépasser la simple fonction opérationnelle et renforcer le lien social.

Enfin, un leadership humaniste doit guider les organisations. Il s’agit de promouvoir une éthique du travail où la technologie est au service de l’épanouissement des collaborateurs, non l’inverse.

Placer l’humain au centre, c’est valoriser la dignité, l’empathie, et la quête de sens comme moteurs de la transformation organisationnelle, assurant ainsi que l’innovation reste profondément humaine.

Conclusion

Le management à l’ère des avatars, de l’IA et des robots est un défi complexe, mais porteur de réelles opportunités pour repenser le management sous toutes ses formes. Pour réussir dans cette nouvelle ère, les managers devront développer de nouvelles compétences en matière de communication, d’éthique, et de conduite du changement, tout en maintenant l’humain au centre de leurs préoccupations. C’est en adoptant une approche équilibrée entre innovation technologique et attention aux besoins humains que les entreprises parviendront à naviguer avec succès vers l’avenir du travail.

La transformation du travail et du management est inévitable au regard des innovations technologiques qui arrivent, mais elle peut être dirigée. Les meilleurs managers sauront créer un environnement de travail où chacun, qu’il soit humain, avatar ou robot, contribue à l’atteinte d’objectifs communs avec engagement, éthique, et respect des valeurs humaines.

Cette nouvelle ère représente une belle opportunité pour la formation. Toutes les études montrent que nous allons avoir besoin de nous former de plus en plus, mais peu de personnes prennent réellement ce temps. Les entités non humaines pourront nous libérer du temps pour se rencontrer, échanger et débattre. Les séminaires et les accompagnements en soft skills auront une valeur ajoutée essentielle pour vraiment développer l’agentivité, cette capacité à s’adapter en temps réel. Les rendez-vous en mode séminaire collectif dans des lieux agréables feront partie intégrante de la vie professionnelle.

Enfin, la virtualisation des relations professionnelles doit s’accompagner d’une territorialisation des relations humaines au sein des organisations. Cela implique notamment de cadrer les comportements des humains envers les non-humains, via une charte dédiée, afin d’éviter une tendance à l’irrespect, pour ne pas prendre le risque de basculer dans un mode conversationnel détestable qui serait reproduit ensuite avec des humains. En combinant le meilleur des deux mondes, les entreprises pourront non seulement s’adapter aux nouvelles technologies, mais aussi renforcer les liens humains, essentiels à toute organisation prospère.

Bibliographie

  • Bailenson, J. (2018). Experience on Demand: What Virtual Reality Is, How It Works, and What It Can Do. W. W. Norton & Company.
  • Belkhir, L., & Elmeligi, A. (2018). Assessing ICT Global Emissions Footprint: Trends to 2040 & Recommendations. Journal of Cleaner Production, 177, 448–463.
  • Chui, M., Manyika, J., & Miremadi, M. (2016). Where Machines Could Replace Humans — and Where They Can’t (Yet). McKinsey Quarterly.
  • Davenport, T. H., & Ronanki, R. (2018). Artificial Intelligence for the Real World. Harvard Business Review, 96(1), 108–116.
  • ENISA. (2021). Threat Landscape 2021. European Union Agency for Cybersecurity.
  • European Commission. (2020). White Paper on Artificial Intelligence: A European Approach to Excellence and Trust. European Union.
  • European Parliament. (2020). Artificial Intelligence in Healthcare and Research. European Parliamentary Research Service.
  • Gartner. (2020). 9 Tips for Managing Remote Employees. Gartner Research.
  • Kniffin, K. M., Narayanan, J., Anseel, F., et al. (2021). COVID-19 and the Workplace: Implications, Issues, and Insights for Future Research and Action. American Psychologist, 76(1), 63–77.
  • Kotter, J. P. (2012). Leading Change. Harvard Business Review Press.
  • Madary, M., & Metzinger, T. K. (2016). Real Virtuality: A Code of Ethical Conduct. Recommendations for Good Scientific Practice and the Consumers of VR-Technology. Frontiers in Robotics and AI, 3, 3.
  • Olson, G. M., & Olson, J. S. (2000). Distance Matters. Human-Computer Interaction, 15(2), 139–178.
  • Slater, M., & Sanchez-Vives, M. V. (2016). Enhancing Our Lives with Immersive Virtual Reality. Frontiers in Robotics and AI, 3, 74.
  • Wilson, H. J., & Daugherty, P. R. (2018). Collaborative Intelligence: Humans and AI Are Joining Forces. Harvard Business Review, 96(4), 114–123.
  • World Economic Forum. (2020). The Future of Jobs Report 2020. World Economic Forum.

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[Article créé le 6 octobre 2024, par Jérémy Lamri avec le soutien des modèles Claude 3.5 Sonnet, GPT4o et GPTo1 pour la structuration et l’enrichissement, et GPT4o pour l’illustration. L’écriture est principalement la mienne, tout comme la plupart des idées de cet article].

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Jeremy Lamri

CEO @Tomorrow Theory. Entrepreneur, PhD Psychology, Author & Teacher about #FutureOfWork. Find me on https://linktr.ee/jeremylamri