Agents IA & RH : à quoi faut-il s’attendre ?

Jeremy Lamri
9 min readJan 19, 2025

La montée en puissance de l’intelligence artificielle bouleverse progressivement tous les métiers de la fonction RH. Du tri des CV automatisé chez des géants du recrutement à la personnalisation des plans de carrière dans certaines start-ups, l’IA prouve chaque jour son utilité. Mais jusqu’où peut-elle aller, notamment avec l’arrivée des fameux agents, et quelle sera la place de l’humain dans ce nouvel écosystème ? J’explore pour vous les différents niveaux d’agents IA, et leurs implications pour le futur des RH.

1) Qu’est-ce qu’un agent ?

Un agent, dans le domaine de l’intelligence artificielle, désigne un système autonome conçu pour percevoir son environnement, analyser les informations collectées, et agir de manière à accomplir des objectifs spécifiques. L’agent peut être aussi simple qu’un filtre automatisé triant les candidatures selon des mots-clés, ou aussi sophistiqué qu’un système capable d’anticiper les départs de collaborateurs grâce à des analyses prédictives.

Origine du concept d’agent IA

L’idée d’un “agent” remonte à la cybernétique des années 1940, où Norbert Wiener explorait les systèmes capables de s’auto-réguler à travers des boucles de rétroaction. Le terme d’agent IA en lui-même est apparu dans les années 1990, notamment dans les travaux de Russell & Norvig (Artificial Intelligence: A Modern Approach), pour décrire une entité capable de percevoir son environnement, de prendre des décisions et d’agir de manière autonome. Cette définition repose donc sur des principes issus des sciences cognitives, de la robotique et de l’informatique.

Avec les progrès en intelligence artificielle, le concept d’agent a pris une dimension plus sophistiquée, intégrant des capacités d’apprentissage, de raisonnement et d’adaptation. Aujourd’hui, les agents se retrouvent dans des applications variées, allant des assistants virtuels aux algorithmes de trading.

Détail et caractéristiques

Un agent est défini par plusieurs propriétés clés qui déterminent son fonctionnement et sa complexité :

  • Autonomie : L’agent peut prendre des décisions sans intervention humaine directe, en fonction de ses objectifs et des données disponibles.
  • Interaction avec l’environnement : Les agents perçoivent leur environnement à travers des capteurs (physiques ou virtuels) et agissent sur celui-ci via des effecteurs.
  • Capacité à apprendre : Ils utilisent des techniques d’apprentissage automatique (machine learning) pour s’adapter à des situations nouvelles ou imprévues.
  • Objectifs définis : Les agents travaillent en suivant une finalité claire, comme résoudre un problème, optimiser un processus ou collaborer avec des humains.
  • Adaptation et raisonnement : Ils peuvent analyser des données, planifier des actions, évaluer leurs performances et ajuster leur stratégie en conséquence.

Prenons l’exemple d’un assistant virtuel comme Alexa ou Siri. Ces agents fonctionnent de manière similaire :

  • Perception : Ils analysent la voix humaine grâce à des modèles de reconnaissance vocale.
  • Décision : Ils interprètent l’intention en s’appuyant sur des modèles de traitement du langage naturel.
  • Action : Ils fournissent une réponse sous forme vocale ou effectuent une tâche (lancer une musique, régler un thermostat).
  • Apprentissage : Ils améliorent leur performance en apprenant des interactions précédentes, souvent via des modèles supervisés ou non supervisés.

Un agent est bien plus qu’un algorithme : c’est une entité capable d’interagir avec le monde, de s’adapter à des conditions changeantes et d’agir pour accomplir ses objectifs. Sa conception repose sur des principes interdisciplinaires et des technologies avancées, qui reflètent une vision ambitieuse : celle d’une intelligence artificielle non seulement performante, mais aussi intégrée dans des systèmes où l’autonomie et la collaboration sont essentielles.

Si l’idée d’un agent semble parfois abstraite, ses applications concrètes transforment déjà notre quotidien et annoncent des évolutions encore plus profondes dans les décennies à venir.

Les 7 niveaux d’agentivité de l’IA

L’agentivité, ou la capacité d’un agent à agir de manière autonome, peut être classée en 7 niveaux croissants :

1 — Agents réactifs

Les agents réactifs sont les ouvriers de base de l’intelligence artificielle. Comme une calculatrice, ils accomplissent des tâches simples et répétitives en suivant des règles précises, sans mémoire ni initiative. Ces agents sont le socle des premières applications d’IA en RH, conçues pour automatiser les processus les plus standardisés.

  • Exemple RH : Ils trient automatiquement les CV en fonction de mots-clés ou répondent aux FAQ des collaborateurs sur les congés ou les bulletins de paie.
  • Limites : Bien qu’efficaces pour alléger la charge administrative, ces agents restent incapables d’adaptation ou de contextualisation.
  • Scénario : Imaginez un chatbot RH répondant à la question « Combien de jours de congé me reste-t-il ? ». Il délivre une réponse précise en s’appuyant sur une règle prédéfinie, mais ne peut gérer une demande plus complexe, comme expliquer la politique de télétravail.

2 — Agents mémoriels

Avec les agents mémoriels, l’IA franchit un palier : ces systèmes se souviennent des interactions passées pour enrichir le dialogue et personnaliser l’expérience. Semblables à un assistant personnel, ils peuvent se souvenir de vos préférences ou besoins précédents.

  • Exemple RH : Ils accompagnent un nouvel employé en retraçant son parcours d’onboarding et en lui suggérant les prochaines étapes ou les formations pertinentes.
  • Limites : Ces agents sont encore limités par la qualité et la quantité d’historique qu’ils peuvent stocker, et leur capacité à comprendre des contextes complexes reste réduite.
  • Scénario : Un collaborateur interroge son assistant sur ses formations passées. L’agent mémoriel lui rappelle ses sessions suivies et lui recommande une formation complémentaire basée sur ses précédentes préférences.

3 — Agents adaptatifs

Les agents adaptatifs marquent l’entrée dans une intelligence réactive et dynamique. À la manière d’un coach sportif, ils ajustent leurs recommandations en temps réel en fonction des données qu’ils collectent sur l’utilisateur ou l’environnement.

  • Exemple RH : Ces agents personnalisent les parcours de formation ou suggèrent des postes adaptés dans le cadre de la mobilité interne, en tenant compte des compétences récemment acquises.
  • Limites : Bien qu’adaptatifs, ils dépendent fortement de la qualité des données en temps réel et peuvent introduire des biais dans leurs recommandations.
  • Scénario : Une plateforme de formation IA détecte qu’un collaborateur a échoué à un test. L’agent adaptatif ajuste automatiquement le contenu de la session suivante pour renforcer les points faibles identifiés.

4 — Agents proactifs

Les agents proactifs passent d’une posture réactive à une posture anticipative. Comme un conseiller financier prévoyant vos besoins futurs, ils analysent les données pour détecter des signaux faibles et proposer des actions préventives.

  • Exemple RH : Ces agents identifient des collaborateurs à risque de désengagement ou de départ, et suggèrent des actions pour améliorer leur expérience ou leur engagement.
  • Limites : Leur efficacité repose sur la qualité des modèles prédictifs et des données utilisées, et leurs recommandations peuvent manquer de transparence.
  • Scénario : En analysant les absences répétées et un faible score aux enquêtes internes, un agent proactif recommande un entretien avec un collaborateur pour comprendre son insatisfaction avant qu’il ne démissionne.

5 — Agents multi-modaux et intégrés

Les agents multi-modaux sont de véritables détectives de l’IA, capables de croiser des données provenant de sources variées (texte, vidéo, audio) pour produire une analyse complète et nuancée.

  • Exemple RH : Ces agents analysent les entretiens de recrutement en combinant les expressions faciales, le ton de la voix, et les réponses verbales pour évaluer les compétences et la compatibilité d’un candidat.
  • Limites : Leur complexité technique et les problématiques éthiques liées à l’utilisation de données sensibles limitent encore leur déploiement.
  • Scénario : Lors d’un entretien d’embauche, un agent multi-modal détecte une cohérence entre les réponses du candidat et son langage corporel, mais signale une divergence dans le ton de la voix, aidant le recruteur à approfondir certains points.

6 — Agents généraux spécialisés

Les agents généraux spécialisés agissent comme des stratèges organisationnels, capables d’aborder des problématiques transverses et complexes. Leur intelligence contextuelle leur permet de raisonner sur plusieurs dimensions pour concevoir des solutions adaptées.

  • Exemple RH : Ces agents participent à la transformation organisationnelle en modélisant l’impact des politiques RH sur la performance globale et en proposant des scénarios d’ajustement.
  • Limites : La technologie est proche, mais le coût élevé et la dépendance à des systèmes hautement intégrés freineront surement leur adoption.
  • Scénario : Une entreprise en pleine restructuration consulte un agent spécialisé. Celui-ci propose un plan de réaffectation des talents basé sur une analyse des compétences, des aspirations individuelles et des besoins stratégiques de l’entreprise.

7 — Agents hyper-réflexifs (vers l’IA générale)

Au sommet de l’évolution, les agents hyper-réflexifs incarnent des mentors visionnaires, capables de modéliser des scénarios globaux et de simuler les impacts à long terme des décisions stratégiques. Ils possèdent une réflexion systémique qui intègre des dimensions éthiques, économiques, et sociétales.

  • Exemple RH : Ces agents co-construisent avec les dirigeants des politiques organisationnelles en simulant leurs impacts à 10 ou 20 ans sur les performances, la culture et l’engagement des collaborateurs.
  • Limites : La technologie reste à développer, et la régulation éthique et les défis liés à la confiance dans ces systèmes seront des obstacles majeurs.
  • Scénario : Une IA hyper-réflexive aide une entreprise à naviguer dans une crise économique en simulant plusieurs stratégies d’ajustement (réduction des effectifs, réallocation des budgets) et leurs impacts humains et financiers.

Quelle place pour l’humain en RH demain ?

Alors que les agents IA atteignent des niveaux de sophistication sans précédent, une question cruciale persiste : quelle sera la contribution unique de l’humain dans un écosystème où l’automatisation et l’intelligence artificielle occupent une place centrale ? Bien que l’IA excelle dans le traitement des données et l’autonomie fonctionnelle, elle reste largement limitée lorsqu’il s’agit de compétences relationnelles, éthiques et stratégiques profondément humaines.

Les agents IA ne fonctionnent que dans les cadres que nous leur définissons. Ces cadres incluent des règles, mais également des valeurs et des objectifs sociétaux. L’humain jouera un rôle central pour s’assurer de l’équité des processus automatisés (évaluation des candidats, mobilité interne), mais aussi pour réguler les biais algorithmiques qui pourraient accentuer des inégalités existantes, et garantir la conformité éthique et la protection des données, notamment dans un contexte de gestion RH où la confidentialité est essentielle.

Les données fournies par les agents IA permettent une analyse fine des besoins, des performances et des tendances. Cependant, le sens donné à ces informations relève de l’humain. Les professionnels des RH devront interpréter les résultats, relier les données aux ambitions stratégiques et inspirer les collaborateurs. Cela inclut la traduction des insights des agents en actions cohérentes avec la vision de l’organisation, la communication des décisions stratégiques de manière humaine et engageante, et la facilitation de l’alignement des équipes autour d’une mission commune.

Les RH sont avant tout une discipline humaine. Si l’IA peut automatiser des tâches ou anticiper des besoins, elle ne peut pas reproduire l’empathie, la subtilité et la compréhension contextuelle nécessaires pour gérer des situations relationnelles complexes. L’humain restera indispensable pour gérer les conflits interpersonnels et accompagner les collaborateurs dans des périodes sensibles (stress, burn-out, transitions professionnelles). Mais pas seulement, l’humain aura encore la charge de créer des environnements inclusifs, où chaque individu trouve sa place et se sent valorisé, et de fédérer les équipes autour d’un leadership inspirant, qui va bien au-delà des indicateurs de performance.

Le rôle des professionnels RH évoluera pour inclure des compétences technologiques avancées, nécessaires pour collaborer efficacement avec des agents IA. Cela implique de savoir lire et interpréter les recommandations des agents, en les enrichissant d’une dimension humaine, et de maîtriser les outils IA pour maximiser leur potentiel dans les processus décisionnels et stratégiques.

Enfin, l’humain jouera un rôle clé dans l’innovation sociale au sein des organisations. Là où les agents IA optimisent les processus, les professionnels RH pourront concevoir des politiques de contribution sociétale intégrant le bien-être des collaborateurs, développer des modèles hybrides qui favorisent la collaboration entre humains et IA, et promouvoir une culture d’apprentissage continu, qui s’adapte aux transformations technologiques et sociétales. Le quaternaire en action quoi !

Conclusion

Les agents IA redéfinissent les pratiques RH, mais leur véritable impact dépendra de la capacité des organisations à en faire des alliés plutôt que des substituts. L’humain ne disparaîtra pas : il évoluera. Face à l’efficacité brute des agents, les professionnels RH devront se concentrer sur ce qui les rend irremplaçables : leur capacité à créer du sens, à préserver une éthique et à gérer la complexité des relations humaines. Si l’IA excelle dans l’analyse et l’automatisation, elle ne remplacera jamais l’intuition, l’empathie ou la vision stratégique. Le futur des RH ne sera pas une question de concurrence entre humain et IA, mais d’orchestration. Et dans cette symphonie, l’humain restera le chef d’orchestre, garantissant que la technologie serve des objectifs profondément humains et durables.

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[Article créé le 19 janvier 2025, par Jérémy Lamri avec le soutien des modèles Claude 3.5 Sonnet, Perplexity, GPT4o et o1 pour la structuration et l’enrichissement, et GPT4o pour l’illustration. L’écriture est principalement la mienne, tout comme la plupart des idées de cet article].

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Written by Jeremy Lamri

CEO @Tomorrow Theory. Entrepreneur, PhD Psychology, Author & Teacher about #FutureOfWork. Find me on https://linktr.ee/jeremylamri

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